Le docteur Alan Greenspan a été Président de la Réserve Fédérale des Etats-Unis de 1987 à 2009 et depuis cette date il a conseillé des agences gouvernementales, des banques d'investissement et des fonds d'investissement.
Portrait d'Alan Greenspan, Président de la Réserve Fédérale Américaine de 1987 à 2009
Dans l'interview qui suit, il révèle ses préoccupations profondes à propos des perspectives économiques dans le monde développé, ses vues sur le rôle de l'or dans le système monétaire et sa croyance dans l'or en tant qu'ultime réserve de valeur.
Au cours des derniers mois, les préoccupations au sujet de la stagflation ont augmenté. Pensez-vous que ces préoccupations sont légitimes ?
Nous avons traversé une longue période de stagnation de la croissance de la productivité, en particulier dans le monde développé, en grande partie causée par le vieillissement de la génération «baby-boom». Les prestations sociales (les droits aux États-Unis) consomment l'épargne intérieure, la principale source de financement des investissements, dollar pour dollar. La baisse de l'épargne domestique en pourcentage du PIB a supprimé l'investissement en capital non résidentiel. Globalement, cette baisse de l'investissement a supprimé la croissance de la productivité horaire. La productivité horaire a augmenté approximativement d'1/2% par an aux Etats-Unis et dans les autres pays développés au cours des 5 dernières années, chiffre qu'il faut comparer aux 2% de croissance annuels qui était la norme auparavant. C'est une différence considérable que l'on retrouve dans le produit intérieur brut et dans le niveau de vie des gens.
Alors que la hausse de la productivité ralentit, le système économique dans son ensemble ralentit. Cette situation a provoqué le désespoir et une hausse consécutive du populisme économique du Brexit à l'élection de Trump. Le populisme n'est pas une une philosophie ou un concept comme le socialisme ou le capitalisme, par exemple. C'est davantage une cri de douleur, dans lequel les gens disent : "Faites quelque chose, aidez-nous !
Dans le même temps, le risque d'inflation commence à augmenter. Aux Etats-Unis, le taux de chômage est inférieur à 5%, ce qui met la pression à la hausse sur les salaires et les coûts unitaires en général. La demande augmente, comme on pu le voir par la large augmentation récente de la masse monétaire, qui reflète les pressions inflationnistes. Jusqu'à présent, les hausses de salaires ont largement été contenues par les employeurs, mais si les coûts continuent à augmenter, les prix vont suivre à leur tour. Si vous imposez l'inflation pendant une période de stagnation, vous obtenez la stagflation.
Alors que les pressions inflationnistes augmentent, anticipez-vous un intérêt renouvelé pour l'or ?
Des hausses significatives de l'inflation vont en dernier ressort faire augmenter le prix de l'or. L'investissement dans l'or est une assurance. Il ne s'agit pas d'un placement destiné à faire des gains à court terme, mais une protection à long terme.
Quelques lingots d'or d'1 kilo
Je considère l'or comme la principale monnaie globale. C'est l'unique monnaie, avec l'argent, qui ne requiert aucune signature en contrepartie. L'or, cependant, a toujours été plus cher par once que l'argent. Personne ne refuse l'or en tant que paiement pour se décharger d'une obligation. Les instruments de crédit et les monnaies "fiat" dépendent de la force du crédit de la contrepartie qui les émet. L'or, ainsi que l'argent, est une des seules monnaies qui possède une valeur intrinsèque. Il en a toujours été ainsi. Personne ne met cette valeur en question, et l'or a toujours été un bien de valeur, qui a été frappé sous forme de monnaie en Asie Mineure dès le VIème siècle avant JC.
Au cours de l'année passée, nous avons été témoins du Brexit, de l'élection de Trump et du succès grandissants des politiques anti-establishment. Comment pensez-vous que les banques centrales et les politiques monétaires vont s'ajuster à cet environnement ?
Le seul exemple dont nous disposons est ce qui est arrivé dans les années 1970 quand nous avons connu la stagflation et qu'il existait de grandes inquiétudes à propos d'une spirale inflationniste hors de contrôle. Paul Volcker a été nommé Président de la Réserve Fédérale, et il a augmenté le taux du Fonds Fédéral à 20% pour stopper l'érosion. Ce fut une période très déstabilisante, et de loin la politique monétaire la plus efficace dans l'histoire de la Réserve Fédérale. J'espère que nous n'aurons pas à répéter cet exercice pour stabiliser le système. Mais cela reste une question ouverte.
La Banque Centrale Européenne, pour sa part, doit faire face à des problèmes encore plus grands que la Réserve Fédérale. Les avoirs au bilan de la BCE sont plus important qu'ils ne l'ont jamais été, après une croissance considérable depuis que Mario Draghi a déclaré qu'il ferait tout ce qui est nécessaire pour sauver l'euro. J'ai de sérieuses inquiétudes sur l'avenir de l'euro lui-même. L'Europe du Nord a, en effet, financé les déficits de l'Europe du Sud. Cela ne pourra pas continuer indéfiniment. L'eurozone ne fonctionne pas.
En Grande-Bretagne, pendant ce temps, on ne sait pas au juste comment le Brexit va se dérouler. Le Japon et la Chine ont également des problèmes. On ne voit aucune grande économie du monde qui soit réellement solide, et il est extrêmement difficile de dire comment les Banques Centrales vont répondre à cette situation.
Bien que l'or ne soit pas une monnaie officielle, il joue un rôle important dans le système monétaire. Quel rôle l'or devrait-il jouer dans le nouvel environnement géopolitique ?
L'Etalon or a fonctionné à plein à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, une période extraordinaire de prospérité globale, caractérisée par une hausse constante de la productivité et une faible inflation.
Mais aujourd'hui, il existe une croyance assez répandues selon laquelle l'Etalon or du XIXème siècle ne fonctionnait pas correctement. Je pense que c'est comme si on portait la mauvaise taille de chaussures et qu'on disait que les chaussures sont inconfortables !
Ce n'est pas l'Etalon or qui a failli, ce sont les politiques.
La première guerre mondiale a désactivé les taux de change fixes et après la guerre aucun pays n'a voulu s'exposer à l'humiliation d'avoir un taux de change réduit par rapport au dollar US tel qu'il existait en 1913.
La Grande-Bretagne, par exemple, a choisi de revenir à l'Etalon or en 1925 au même taux de change que celui de 1913 par rapport au dollar (soit 4,86 US dollars contre 1 livre sterling). Ce fut une erreur monumentale commise par Winston Churchill, qui était alors Chancelier de l'Echiquier. Cela a entraîné une sévère déflation en Grande-Bretagne à la fin des années 1920, et un défaut de paiement de la Grande-Bretagne en 1931. Ce n'est pas l'Etalon or qui n'a pas fonctionné, c'est la volonté de maintenir à tout prix des taux de change antérieurs à la guerre. Toutes les Nations voulaient retrouver les taux de changes antérieurs à la guerre, ce qui, selon les différents degrés de destructions qui avaient eu lieu dans chacun des pays, rendait ce désir, en général, tout à fait irréaliste.
Aujourd'hui, un retour à l'Etalon or serait perçu comme un acte de désespoir. Mais si l'Etalon or existait aujourd'hui, nous ne nous trouverions pas dans la situation dans laquelle nous sommes. Les Etat-Unis ne sont pas en mesure d'investir dans les infrastructures comme nous le devrions. Les Etats-Unis en ont sûrement besoin, et cela se traduirait éventuellement sous la forme d'un meilleur environnement économique. Mais peu des bénéfices ainsi acquis se reflèteraient dans les profit pouvant rembourser la dette. La plupart de ces infrastrutures devraient être financées par augmentation de la dette gouvernementale. Nous avons déjà le danger de voir le ratio de la dette fédérale relativement au PIB atteindre les 3 chiffres. Nous n'aurions jamais atteint un tel seuil si nous avions été sous le régime de l'Etalon or, car l'Etalon or est une assurance que la politique fiscale ne sort jamais du rang.
Pensez-vous que la politique fiscale devrait être ajustée pour aider les décisions de politique monétaire ?
Je pense que l'inverse est vrai. La politique fiscale est la politique la plus fondamentale. La politique monétaire n'a pas les mêmes potentialités. Et si la politique fiscale est claire, alors la politique monétaire devient raisonnablement facile à implémenter. La pire situation pour les banquiers centraux c'est un système fiscal instable, comme celui qui existe à l'heure actuelle.
Le problème central est que les hausses des dépenses gouvernementales, financées largement à crédit, déstabilisent le système financer. L'âge de départ à la retraite fixé à 65 ans n'a que peu changé depuis que le président Roosevelt l'a introduit en 1935, même si la longévité a augmenté substantiellement depuis. Par conséquent, la première chose que nous ayons à faire est d'augmenter l'âge de départ à la retraite. Celui pourrait réduire appréciablement les dépenses.
Photo de la Réserve Fédérale Américaine à Washington
Je crois également que le règles de régulation imposées aux banques et aux intermédiaires financiers devraient être nettement supérieures que celles qui existent à l'heure actuelle. Si on regarde dans le passé, toutes les crises récentes ont été des crises de monétaires. La partie non monétaire de l'économie américaine se portrait très bien avant 2008 par exemple. C'est l'effondrement du système financier qui a atteint les secteurs non financiers. Si l'on régule suffisamment le capital dans le système financier, les chances de faillites contagieuses en chaîne sont réduites.
Si nous augmentions les règles capitalistiques pour les banques commerciales, par exemple, de la moyenne actuelle de 11% à 20 ou 30% de leurs actifs, les banquiers pourraient arguer du fait qu'ils ne pourraient plus faire de prêts profitables avec de telles conditions. Mais les données du Bureau du Contrôleur de la Monnaie qui datent de 1869 suggèrent le contraire. Ces données montrent que le taux de profit des banques a été situé entre 5 et 10% pendant toute la période couverte par ces données, quelque soit le taux de réserves imposé aux banques. Cela suggère que l'on pourrait imposer au banques des réserves supérieures sans pour autant faire baisser l'efficacité du système financier. Cela provoquerait probablement une contraction des prêts, mais ces prêts, selon toute vraisemblance, ne devraient pas être accordés.
Pour contrer la politique de taux d'intérêts très faibles ou négatifs, certains investisseurs sont devenus de gros acheteurs d'or. Selon vous quel rôle l'or doit-il jouer comme réserve de valeur ?
Quand j'étais Président de la Réserve Fédérale, j'ai dû témoigner devant le membre du Congrès Ron Paul, qui plaidait avec force pour l'or. Nous avons eu quelques discussions intéressantes. Je lui ai dit que la politique monétaire de la Réserve Fédérale essayait de suivre les signaux qu'un Etalon or aurait créé s'il avait existé. C'est une bonne politique monétaire, mais avec une monnaie "fiat". A cet égard, je lui ai dit que même si nous étions revenu à un Etalon or, ma politique n'aurait pas tant changé que cela.
Interview d'Alan Greenpan donnée dans la revue "Gold Investor" publiée par le World Gold Council, Volume 3, Février 2017