Au détour d'une petite route du nord-ouest de l'Espagne, dans la Province de Léon, le voyageur croisera peut-être un paysage grandiose de pitons constitués de sables rouges agglomérés couverts d'une végétation de chênes verts et de châtaigners.
Image de la mine d'or romaine de Las Medulas en Espagne
Le voyageur, surpris, s'imagine probablement avoir affaire à une curiosité géologique naturelle mais il se trompe. Ce paysage extraordinaire a été façonné de main d'homme pendant l'Antiquité romaine. Ce site baptisé par les espagnols "las Medulas" est constitué des vestiges spectaculaires de ce qui fut une des plus grandes mines d'or romaines. Las Medulas mérite quelques explications...
On accède à Las Medulas en empruntant la route qui conduit de la ville de Ponferrada à Ourense, ville située en Galice. Une petite route conduit jusqu'au village de Carucedo où un embranchement mène au village de Las Medulas, situé au pied de l'ancienne mine romaine. De là on peut visiter les anciennes excavations, telles que la Grotte Enchantée ou la galerie dite "Cuevanova". A l'intérieur de ces galeries qui sont immenses pour certaines, on peut observer les marques que les pioches des mineurs ont laissées sur les parois il a y près de 2000 ans. C'est depuis le Mirador del Orellan, que l'on a la meilleure vue d'ensemble sur ce splendide paysage de ravins, de tunnels et de pitons rougeâtres.
Dans l'Antiquité, l'Espagne est l'El Dorado des romains
Pour saisir pleinement l'importance et la place de la mine d'or romaine de Las Medulas, il faut dire d'abord que sous l'Empire, rares sont les gîtes métallifères qui ont échappé aux recherches des anciens. On peut dire également que pendant l'Antiquité l'Espagne était réputée pour ses richesses minières : une légende racontait même que des incendies de forêts faisaient couler des ruisseaux d'argent (cf. Diodore, V, 35). Divers auteurs, tels que Strabon, Silius Italicus, Lucain ou Pline l'Ancien rapportent que des mines étaient exploitées en Galice, Bétique, dans les Asturies ou encore en Lusitanie. L'Espagne était particulièrement réputée pour ses mines de plomb argentifère, mais aussi de cuivre. De nombreux témoignages des auteurs anciens mais aussi les vestiges archéologiques témoignent de l'extraordinaire activité minière de l'Espagne antique.
Carte des mines de l'Espagne romaine
On imagine bien que ces ressources considérables de métaux de toutes sortes ont fait l'objet d'une exploitation depuis les périodes les plus reculées. Lorsque Rome est partie à la conquête du monde, elle s'est heurtée à la puissance de Carthage, et l'affrontement des guerres puniques a eu lieu pour une grande part pour le contrôle du territoire espagnol et de ses richesses minières. Après la conquête romaine (IIème siècle av. JC), la Péninsule Ibérique est un véritable Eldorado pour les Romains, qui y arrivent en nombre pour s'enrichir. Toutes proportions gardées on peut comparer la Péninsule Ibérique au Far West américain, qui a généré des ruées vers l'or spectaculaires.
Auguste parachève la conquête de l'Hispanie... et de ses mines d'or
Après les guerres puniques livrées contre Carthage, la conquête de la Péninsule Ibérique demeurait incomplète : toute la façade méditerranéenne était sous le contrôle de Rome, mais des peuples belliqueux de l'ouest, Lusitaniens, Cantabres et Asturiens opposaient encore une farouche résistance à l'envahisseur au premier siècle avant notre ère. C'est lors de la guerre des Cantabres, en 29-19 avant JC qu'Auguste a définitivement fait rentrer ces territoires rebelles dans le giron de l'Empire romain, mettant la main, par la même occasion, sur les riches mines d'or de Las Medulas. Pour assurer la sûreté de la région et du transport de l'or extrait à Las Medulas, Rome a par la suite installé des troupes permanentes. C'est ainsi qu'est née la ville de Léon dont le nom actuel est dérivé du latin "legio" : la ville a été fondée autour du camp de la VIIème légion romaine dite "Gemina".
Le témoignage exceptionnel de Pline l'Ancien
Nous avons la chance de posséder un témoignage exceptionnel sur les techniques d'exploitation de l'or par les Romains : c'est celui du fameux encyclopédiste Pline l'Ancien, né en 23 avant JC et mort lors de l'éruption du Vésuve en 79 après JC. Le chapitre XXXIII de "l'Histoire Naturelle", titre de la vaste encyclopédie de Pline l'Ancien, est entièrement consacré aux métaux. Outre sa grande activité intellectuelle et littéraire, Pline l'Ancien a également été un serviteur dévoué de l'Empire. Sous le règne de Vespasien, il a été procurateur en Gaule narbonnaise et dans l'Hispanie (73 après JC). C'est à cette occasion qu'il s'est familiarisé avec les techniques d'exploitation minières.
Exemple de monnaie d'or romaine : un aureus de Vespasien
Aureus de Vespasien frappé en 73 après J.-C. A/ Tête laurée tournée à droite R/ Vespasien dans un quadrige triomphal tourné à droite. C’est sous le règne de Vespasien que Pline l’Ancien a découvert les mines d’Espagne. Cette monnaie a peut-être été frappée avec de l’or provenant de Las Medulas.
Les techniques d'exploitation de l'or
Lorsque Pline énumère les différentes manières d'exploiter l'or, il évoque bien sûr l'orpaillage, c'est-à-dire l'extraction de l'or des rivières; il traite ensuite du creusement de puits pour suivre les veines aurifères, puis c'est ainsi qu'il présente la dernière technique d'exploitation : "la troisième méthode de travail surpasse les travaux des Géants" (Pline l'Ancien, His. Nat., livre 33, 21). De quoi s'agit-il ? Les mineurs se livrent à la technique de la "ruina montium", c'est-à-dire la destruction des montagnes grâce à la force de l'eau ou à la force des mineurs. Des galeries d'amenée d'eau, et un système hydraulique complexe avec des barrages était construit. A Las Medulas, des aqueducs courraient sur des dizaines de kilomètres (Pline précise : sur 100 milles romains, soit 147 kilomètres !) à travers des reliefs escarpés des montagnes pour achenimer l'eau vers la mine. Pline, ébahi par ces aménagements hydrauliques considérables dit ceci : "là où il n'y a pas la place pour poser un pied d'homme, l'homme fait passer des rivières !" (op. cit.). C'est ainsi qu'à force de travaux immenses et coûteux la montagne aurifère était désagrégée; les débris étaient lavés en contrebas dans des canaux de planches garnis de bruyère; puis la bruyère était séchée, brûlée; il fallait encore laver les cendres pour voir enfin le précieux métal.
"la soif de l'or est ce qu'il y a de plus dur au monde"
Une autre méthode consistait à creuser des galeries jusqu'à ce que de grands pans de montagne se détachent, "dans un fracas que l'imagination humaine ne peut convevoir" (op. cit.).
Naturellement, les conditions de travail des mineurs étaient épouvantables. "Il arrive à tout coup que des fissures provoquent des éboulements qui écrasent les ouvriers", affirme Pline, non sans rajouter ceci : "Il paraît désormais moins risqué d'aller chercher des perles et des pourpres au fond de la mer, tant nous avons rendu la terre plus nuisible que l'eau !" (op. cit.). Les mineurs évacuaient jour et nuit les débris arraché avec la plus grande peine. Une fois que les galeries de sape étaient bien avancées les mineurs faisaient sauter les piliers jusqu'à ce que l'éboulement de la montagne se produise. La technique employée pour éviter la mort des mineurs était toute aléatoire : un veilleur placé au sommet de la montagne se fiait à son instinct pour saisir le moment de l'écroulement; lorsqu'il le sentait arriver, il lançait le rappel des ouvriers et dégageait lui-même à toute vitesse...
Il va sans dire que l'activité de mineur était réservée aux esclaves, ou à des hommes condamnés de toute façon.
Pline l'Ancien a été effaré par ce qu'il a vu à Las Medulas; au détour de sa description de la technique du "ruina montium", il dit ceci : "la soif de l'or est ce qu'il y a de plus dur au monde" (op. cit.). Lorsqu'on visite le site magnifique de Las Medulas, il faut songer à la somme infinie de souffrances, à tous les drames, au travail harrassant, mais aussi à l'acharnement et à l'ingéniosité des hommes qui ont façonné ces paysages il y a vingt siècles.
Plus de six tonnes d'or par an !
Pline affirme qu'en employant ces méthodes d'exploitation dans divers lieux des Asturies, de Galice et de Lusitanie, 20000 livres d'or (soit 6,5 tonnes) auraient été extraites chaque année. Cette exploitation a duré au moins jusqu'au IVème siècle de notre ère. On peut comprendre pourquoi les Romains considéraient la Péninsule comme un El Dorado : elle l'était en effet !
En 1997, L'Unesco, considérant que la zone d'exploitation aurifère de las Medulas est un exemple exceptionnel d'une technique novatrice romaine, dans laquelle tous les éléments composant l'ancien paysage, à la fois industriels et domestiques ont survécu de façon exceptionnelle, a décidé d'inscrire ce site archéologique parmi les monuments du Patrimoine Mondial de l'humanité. Cette inscription est tout à fait justifiée compte tenu de l'intérêt esthétique et surtout historique du site. Si vous passez un jour dans ce coin reculé de l'Espagne, ne manquez surtout pas d'aller visiter les mines d'or romaines de La Medulas.
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