Le Moyen Age fit, de certaines monnaies anciennes, des objets de superstition ou, parfois, des éléments décoratifs pour des chasses, des reliquaires, des vases ou d'autres ustensiles. Mais y eut-il des amateurs ou des curieux capables de recueillir les monnaies grecques et romaines pour leur beauté propre et l'intérêt de leurs types ? Il semble qu'on puisse répondre affirmativement. Quand nous voyons par exemple, dès le commencement du XIVème siècle, le pape Boniface VIII rechercher les camées et les intailles antiques et s'en former une collection, comment admettre qu'il fut indifférent aux monnaies qui souvent représentaient les mêmes types ou les mêmes effigies ? Oui, dès ce temps, on commence à comprendre l'antiquité, à en interroger les restes, à déchiffrer les inscriptions, pour leur demander compte de leur origine et de leur passé; à recueillir les médailles aussi bien que les pierres gravées, non plus seulement à titre de bijoux aptes à servir à la décoration de meubles ou de reliquaires, mais comme des produits authentiques des civilisations païennes. Nous voyons, dès 1335, un riche citoyen de Trévise, Oliviero Forza ou Forzetta, mériter le nom d'antiquaire, dans le sens moderne du mot. « Il nous a laissé lui-même, raconte M. Eugène Müntz, l'indication des objets qu'il se proposait d'acquérir à Venise : médailles et monnaies, bronzes, marbres, pierres gravées, manuscrits d'auteurs classiques, y tiennent une place telle que l'on se croirait au XVème siècle ».

Dans cette énumération se trouvent « cinquante médailles (medajae) que lui avait primises maître Simon », qui ne peuvent guère être que des médailles antiques. Toutefois, s'il y eut, en Italie, des amateurs de médailles antiques avant Pétrarque (1304-1374), il n'en est pas moins vrai que c'est à ce dernier qu'on doit faire remonter les premières études critiques sur la numismatique de l'antiquité. Pétrarque, le plus fécond des initiateurs de la Renaissance, le prince des humanistes, qu'on a défini comme « le premier homme moderne », était, par dessus tout, épris des Anciens, répudiant la science routinière de son temps pour remonter aux sources pures de la littérature classique et aux monuments de toute sorte dont les Romains avaient peuplé l'Italie et le Midi de la France. Il avait, comme son ami le tribun Rienzi, le culte des textes épigraphiques, des manuscrits et des ruines; il achetait, nous dit-il, pendant son séjour à Rome, les médailles que lui apportaient les paysans et il y déchiffrait avec émotion le nom des empereurs. « Saepe, me vineae fossor Romae adiit gemmam antiqui temporis aut aureum argenteumque nummum manu tenens, nonnunquam rigido dente ligonis attritum, sive ut emerem, sive ut insculptos eorum vultus agnoscerem ». Pétrarque forma ainsi, dans un but artistique et scientifique, une collection de monnaies antiques. Mais il ne fut pas le seul de ses contemporains à manifester ce goût, puisque nous le voyons, suivant son propre témoignage, offrir lui-même des médailles romaines en or et en argent à l'empereur Charles IV : « aliquot sibi aureus argenteosque nostrorum principum effigiers minutissimis ac veteribus litteris inscriptas, quas in deliciis habebam, dono dedi, in quibus et Augusti Caesaris vultus erat paene spirans; et ecce, inquam, Caesar, quibus successisti, ecce quis imitari studeas ».

Le déchiffrement des monnaies anciennes et la curiosité iconographiques n'étaient pas l'unique préoccupation de Pétrarque. On le voit tantôt rapprocher un passage de Suétone relatif à Vespasien des médailles de cet empereur, tantôt les médailles de Faustine mère, d'un texte de l'Histoire Auguste, et essayer de tirer de ces judicieuses comparaisons un enseignement scientifique.

Et Pétrarque n'était pas isolé en Italie : il fut seulement le chef d'une pléiade qui alla toujours grossissant. Outre Rienzi, deux autres de ses amis, Giovanni Dondi et Lombardo della Sela (mort e, 1390), furent de grands collectionneurs d'antiques et de médailles.

En France, Jean, duc de Berry (1340-1416), frère du roi Charles V, ne dédaignait point, à l'exemple des amateurs italiens, de placer quelques médailles antiques à côté des autres curiosités et objets précieux qu'il collectionnait avec tant de passion. Il semble bien qu'on doive reconnaître un aureus antique de Jules César dans la description suivante d'un joyau de ses collections :

« 195. Item, un grant denier d'or bien pesant, auquel est contrefait au vif le visaige de Julius Cesar, garni entour de IIII saphirs et VIII perles, pendant à une chainne ployant, où il y a deux perles, etc. ». N'est-ce point aussi une monnaie d'or antique que les mêmes inventaires désignent de la manière suivante : « 1108. Item, où il a uneteste enlevée ».

Les collectionneurs commencent à devenir nombreux dès la première moitié du XVème siècle. En 1430, Lionel, marquis d'Este avait une collection de médailles antiques. Niccolo Niccoli, de Florence (mort en 1437), en possédait également. En 1432, le célèbre voyageur antiquaire, Cyriaque d'Ancôme montre à Venise au frère Ambrogio Traversari une collection de médaille qui remplit ce dernier d'admiration. Dans une autre collection Vvénitienne, le frère Ambroise remarque une médaille d'Alexandre le Grand; dans le médailler de Benoît Dandolo, c'est une pièce de Bérénice qui attire particulièrement son attention. A Gênes, chez Andreolo Giustiniani, en 1430, le voyageur camaldule avait déjà remarqué une belle suite de pièces d'or antiques (« nummos aureos vetustusimos »). A Pavie, en 1442, parmi les pièces recueillies par Gianlucido (1421-1448), fils du marquis de Mantoue, il signale un tétradrachme de Thasos au type d'Héraclès debout. A Rome, le cardinal Barbo avait la plus belle galerie d'antiques qu'on eut jamais formée : c'est lui qui, plus tard, devenu pape sous le nom de Paul II, réunit le merveilleux musée du palais de Saint-Marc. Citons encore Antoine, cardinal de Saint-Marc et neveu du pape Eugène IV (1431-1417), qui possédait une grande collection de médailles antiques.

Outre Niccolo Niccoli, il y avait, à Florence, comme antiquaires et collectionneurs de médailles antiques, Ghiberti, le Pogge, et surtout le grand Côme de Médicis, qui, dès avant le milieu du XVème siècle, commença les séries qui devaient prendre bientôt un si merveilleux développement, et dans lesquelles les médailles grecques et romaines occupaient une place honorable.

A Naples, le roi Alphonse d'Aragon (1442-1458) faisait rechercher partout les monnaies grecques et romaines. Il se forma ainsi une suite considérable installée dans un beau médailler d'ivoire qui ne le quittait pas dans tous ses voyages. Il aimait à répéter que la vue de ces médailles « était pour lui un puissant aiguillon qui l'excitait à imiter les vertus de ceux dont elles représentaient l'image ».

Le roi René d'Anjou fut, à la fois, le compétiteur d'Alfonse et son émule par son goût des arts et la passion qu'il mit à rechercher les oeuvres antiques. On connaît l'inventaire de la plupart de ses « camaïeux », bijoux d'orfèvrerie, et autres objets précieux; quoi de plus naturel que de supposer qu'il eut des médailles antiques, lui qui fit exécuter ou qui exécuta peut-être lui-même de grandes médailles artistiques à l'instar de celles que modelaient les artistes italiens de son temps en s'inspirant de l'art antique.

L'empereur Maximilien Ier (1459-1519), en créant la Bibliothèque impériale de Vienne, jeta en même temps les premiers fondements du riche médailler qui continue à en faire la gloire. Mathias Corvin, roi de Hongrie (1458-1490), qui s'entourait de savants et institua l'université de Buda, faisait rechercher partout les manuscrits précieux et les médailles des anciens.

Dès maintenant, d'ailleurs, nous sommes en pleine Renaissance, et depuis longtemps déjà, de l'admiration des médailles antiques ont était passé à l'imitation technique, aussitôt que le perfectionnement des procédés matériels l'avait permis. Les monnaies à effigie impériale de Charlemagne et de quelques autres princes carolingiens et, au XIIIème siècle, les célèbres augustales de Frédéric II, prouvent que des essais dans ce sens furent faits à toute époque : mais avant le milieu du XIVème siècle, ces tentatives étaient restées isolées, sporadiques et sans influence sur le progrès général. Il en est tout autrement à partir de la fin du XIVème siècle; l'admiration pour les médailles antiques cesse alors d'être presque exclusivement platonique. En même temps que Pétrarque propose à Charles IV les empereurs romains comme modèles, il pousse les artistes dans l'imitation de la gravure des monnaies romaines et des monnaies grecques. Ce fut sous l'influence de Pétrarque que, dès la fin du XIVème siècle, Marco Sesto et Francesco Novello de Carrare, gravèrent les premières médailles modernes à l'imitation des anciens. Nous voyons d'autre part, en France, le duc de Berry acheter pour ses collections des médailles aux effigies d'Auguste, de Tibère, de Constantin, d'Héraclius, dont il nous reste des spécimens et qui sont, pour leurs types et leurs légendes, des oeuvres inspirées de pièces antiques que l'artiste du XIVème siècle a eues sous les yeux et a voulu imiter. Mais arrêtons nous à l'aurore de cet art nouveau : ce n'est pas ici le lieu de pénétrer plus avant dans ce domaine de l'histoire numismatique et de montrer que l'art monétaire a eu ses Nicolas de Pise et ses Giotto.

Extrait du "Traité des Monnaies grecques et romaines", d'Ernest Babelon

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