Dans le courant du mois d'août 1852, on a trouvé à Pionsat, département du Puy-de-Dôme, ancienne province d'Auvergne ou pays des Arvernes, un certain nombre de monnaies gauloises. Ces monnaies, frappées en électrum (or mêlé d'argent), sont en général des variantes curieuses de pièces arvernes déjà connues ; mais parmi ces pièces, toutes fort intéressantes, il s'en est rencontré quelques-unes portant en belles lettres latines le nom tout entier du plus célèbre des chefs gaulois qui résistèrent à César, de Vercingétorix, fils de Celtillus.

Une découverte sensationnelle : le statère en or de Vercingetorix

Droit du statère en or avec la légende VERCINGETORIXS entière, MMA, inv. Gauloises 3774, clichés BNF

Statère en or de Vervingétorix, avers et revers

Droit du statère en or avec la légende VERCINGETORIXS entière, MMA, inv. Gauloises 3774, clichés BNF

Le célèbre statère de Vercingétorix. Cliché BNF

Le cabinet des médailles a acquis vingt et une de ces pièces, vestiges si précieux des dernières heures de l'indépendance gauloise, et entre autres la belle monnaie que reproduit notre gravure. Avant la découverte de Pionsat, les numismates connaissaient déjà, dans les médaillers de deux amateurs éclairés de Clermont en Auvergne, MM. Bouillet et Mioche, deux monnaies qu'on ne pouvait attribuer qu'à Vercingétorix. Dès l'année 1837, M. de la Saussaye avait même publié l'une de ces pièces dans la Revue numismatique. Le savant membre de l'Institut avait démontré que la pièce de M. Bouillet, sur laquelle on ne lisait que la fin du mot INGETORIXS, avait été émise par le célèbre chef des Arvernes ; malgré la solidité de ses arguments, quelques personnes doutaient encore de cette assertion. La découverte de la pièce de M. Mioche vint plus tard corroborer ce qu'on appelait seulement une hypothèse; cependant il restait quelques esprits rebelles, car la pièce de M. Mioche, qui porte le nom tout entier, n'a jamais été publiée. Aujourd'hui le doute n'est plus possible ; chacun peut voir dans le Cabinet national la monnaie à laquelle est consacré ce travail. On y lit en toutes lettres VERCINGETORIXS; cette légende est placée au bas d'une tête jeune et imberbe. Au revers, on voit un type fréquent sur les monnaies gauloises, un cheval lancé au galop, et au-dessous un vase à deux anses.

Carte de localisation de Pionsat, dans le Puy de Dôme, lieu de la decouverte du statère de Vercingetorix

Carte de localisation du village de Pionsat, où a été découvert le statère de Vercingétorix

Doit-on voir dans cette monnaie, qui a le poids des statères de Philippe II, roi de Macédoine, père d'Alexandre, l'effigie du héros gaulois, ou simplement un souvenir peu fidèle de l'Apollon qui décorait la face de ces statères ?


Ici l'incertitude commence. Dominés par une fidélité peut-être exagérée au système, généralement vrai, qui ne voit dans les monnaies gauloises que des imitations plus ou moins heureuses des monnaies grecques et des monnaies romaines dont le commerce inondait la Gaule, la plupart des numismates ne veulent pas reconnaître l'effigie de Vercingétorix sur les monnaies qui nous occupent. Est-il cependant impossible que les Gaulois, dans l'enthousiasme que leur inspirèrent les premiers succès de Vercingétorix, aient voulu décerner les honneurs monétaires à ce chef suprême qui fut, selon les termes de César, nommé roi par les Arvernes, et à deux reprises impérator par la Gaule entière? La tête est jeune et régulière; or Vercingétorix était jeune et beau, d'après tous les récits où il est question de lui ; César le désigne par ces mots "Summae potentiae adolescens" ! Si c'était Apollon, il serait couronné de laurier; on ne voit pas de traces de couronne sur notre monnaie.

Le nom du chef est écrit, non pas à la place ordinaire des légendes, mais précisément au-dessous de la tête; cette inscription semble placée là pour le désigner de la manière la plus formelle. On peut objecter que l'absence de la couronne n'a rien qui doive surprendre, et que sur la plupart des monnaies gauloises les attributs importants ont été mal reproduits ou même tout à fait négligés. L'objection aurait une grande valeur s'il s'agissait d'une pièce grossière et barbare comme la plupart des monnaies gauloises ; mais elle perd ici de son importance, car il est facile de voir que les monnaies de Vercingétorix sont dues à un artiste fort habile ; les statières au nom de Vercingétorix sont d'un travail comparativement fort remarquable. Il ne faut pas oublier que ces pièces ont été fabriquées à Clermont, l'antique Gergovie, ville qui fut célèbre par l'habileté de ses artistes, et spécialement par ses orfèvres.

Nous le répétons donc, à moins que de nouvelles découvertes ne viennent nous démontrer notre erreur, nous croirons que les pièces de Vercingétorix portent l'effigie de cette illustre victime de César. Du reste, nous ne sommes pas seuls de cet avis. Dés l'année 1837, et alors qu'on ne connaissait qu'une monnaie très-imparfaite de Vercingétorix, M. de la Saussaye, dont les travaux sur la numismatique gauloise sont si estimés, n'était pas éloigné de penser comme nous, et s'il a exprimé alors cette opinion sous la forme dubitative, aujourd'hui que des monuments plus complets viennent lui donner une nouvelle force, peut-être serait-il moins réservé. Quoi qu'il en soit, ces monuments de l'antiquité gauloise sont au nombre de ceux qui doivent exciter le plus vif intérêt : nos aïeux n'écrivaient point; aussi doit-on recueillir avec le plus grand soin ces témoignages métalliques de notre antique indépendance, qui sortent des entrailles du sol natal, après plus de 20 siècles siècles, pour nous rappeler les vissicitudes de la patrie.

L'histoire de la conquête définitive des Gaules par les Romains ne nous a été transmise que par les Romains eux-mêmes ou par les Grecs, amis ou serviteurs de Rome. Nos pères n'avaient pas beaucoup de justice à attendre de ces écrivains : aussi leur histoire est-elle fort écourtée, et c'est pour ainsi dire uniquement par les "Commentaires" de César que nous pouvons apprécier le génie et les mâles vertus de Vercingétorix. C'est le cas de s'écrier, comme le lion de la fable :
"Si mes confrères savaient peindre !"

Toutefois, malgré cette disette de renseignements, et quoiqu'il n'ait eu pour historiens que les ennemis de sa nation, le nom de Vercingétorix brille de l'éclat le plus pur. Sa vie tout entière fut consacrée à l'indépendance de la patrie, et cette vie est couronnée par un acte sublime qui égale les dévouements fabuleux de l'histoire romaine.

Il faut relire la vie de Vercingétorix dans César et dans l'Histoire des Gaulois de M. Amédée Thierry. Ici nous nous contenterons d'en rappeler les principaux faits. Vercingétorix, issu d'une famille illustre de la cité des Ârvernes, peuple de l'Auvergne, était fils d'un certain Celtillus, qui avait été chef de toute la Gaule et qui, soupçonné d'aspirer à la tyrannie, avait péri sous les coups des siens. Vercingétorix hérita des richesses de son père et de son patronage sur de nombreux clients : sa générosité, son éloquence, la noblesse de ses traits, sa taille élevée et élégante, sa bravoure, lui concilièrent de bonne heure l'affection et le respect de ses compatriotes. Animé d'un ardent amour de son pays, Vercingétorix employa son influence à faire des ennemis au nom romain : aussi, l'an 52 avant Jésus-Christ, lorsque la nouvelle du soulèvement des Carnutes (peuples de Chartres et de l'Orléanais), qui avaient repris Genabum (Orléans), parvint jusque dans les montagnes de l'Auvergne, portée, selon la coutume, par les cris des peuples de bourgade en bourgade, le jeune Arverne résolut de prendre part à cette guerre sacrée. Il eut à lutter contre une opposition puissante, et Gobanitio, son oncle, chef du parti de la paix, réussit d'abord à le chasser de Gergovie (Clermont). Mais les patriotes reprirent bientôt le dessus, et Vercingétorix fut reconnu roi des Arvernes. A peine investi de l'autorité dans son pays, Vercingétorix noua des relations politiques avec les autres peuples de la Gaule, qui lui déférèrent le commandement suprême des forces de la confédération. Le jeune impérator, car telle est la traduction latine, donnée par César, du titre conféré par les Gaulois à Vercingétorix, s'occupa d'abord de former son armée à la discipline, et il y parvint en déployant la plus grande sévérité. La guerre ne tarda pas à commencer : César revint promptement de l'Italie; Vercingétorix lutta contre le plus grand capitaine de Rome et se montra digne d'un tel adversaire, non-seulement par sa valeur, mais encore par la portée et la hardiesse de ses conceptions politiques et militaires. Il comprit bien vite qu'il ne pourrait pas résister aux vieilles légions de César s'il s'obstinait à combattre en bataille rangée. Son plan, qu'il réussit à faire adopter à l'assemblée des chefs, consistait à brûler les villes, à ravager le pays, pour enfermer les Romains dans un désert. Cette conception, analogue à celle qui sauva les Russes en 1812, devait sauver la Gaule : les Romains, affamés, sans place de retraite, n'auraient pu résister aux attaques incessantes de la cavalerie gauloise ; par malheur elle ne fut exécutée qu'en partie. On brûla plus de vingt villes dans une seule journée ; mais les larmes des habitants d'Avaricum (Bourges) prévalurent contre la résolution de Vercingétorix, qui, cédant à la compassion et aux prières des autres généraux, consentit à laisser debout les murailles d'Avaricum que les Bituriges (les peuples du Berry) promettaient de défendre jusqu'à la mort. Ce qu'avait craint Vercingétorix se réalisa : les Romains s'emparèrent d'Avaricum et des provisions qu'on y avait accumulées; mais ils échouèrent devant Gergovie, défendue par Vercingétorix, qui eut la gloire de forcer César à lever le siège.

Après ce succès, Vercingétorix se crut assez fort pour livrer bataille à César ; on ne sait pas positivement en quel lieu ; mais d'après les Commentaires ce dut être entre Tonnerre et Châtillon-sur-Seine. Malgré des prodiges de valeur, les Gaulois furent battus, et Vercingétorix, qui avait été nommé pour la deuxième fois impérator de la Gaule, fit la faute de s'enfermer dans Alesia (Alise-Sainte-Reine, Côte-d'Or). César vint l'y assiéger; une nouvelle armée de Gaulois accourut pour délivrer son généralissime ; mais elle dut céder encore une fais à la supériorité de la tactique et des machines des Romains. Vercingétorix, comprenant l'inutilité d'une plus longue résistance et ne consultant que son grand cœur, prit la résolution de mourir seul pour le salut des siens. Le lendemain de la défaite de l'armée gauloise, il assembla le conseil et déclara qu'il n'avait pas entrepris cette guerre pour ses intérêts particuliers, mais pour la cause de la liberté commune, et que, puisqu'il fallait se soumettre à la mauvaise fortune, il s'offrait à eux pour le salut de la nation, soit qu'on cherchât à se concilier les Romains en le mettant à mort, soit qu'on préférât qu'il se livrât vivant. Le conseil fit connaître à César les nobles dispositions de Vercingétorix. Le proconsul répondit qu'on lui envoyât les armes et les chefs; puis, faisant dresser son tribunal devant le camp, il y attendit les vaincus. Vercingétorix revêtit sa plus riche armure, monta son cheval de bataille et parut tout à coup aux yeux des Romains, dont quelques-uns furent surpris et même effrayés. Ce barbare avait encore toutes les grâces de la jeunesse, et, revêtu de son armure, son aspect était à la fois séduisant et formidable. On fut touché de son sort et de son dévouement. César resta impassible et le fit charger de fers.

Plutarque dit qu'il fit à cheval le tour du tribunal avant de déposer ses armes aux pieds de César, soit qu'il eût dépassé le but dans la rapidité de sa course, soit que ce fût un des rites du cérémonial de la nation. Il parait qu'il accomplit cet acte avec une noble simplicité et sans prononcer une parole. Florus est le seul auteur qui lui prête cette phrase prétentieuse : « Homme le plus vaillant des hommes, tu as vaincu un homme vaillant! » César ne sut pas apprécier comme elle méritait de l'être l'action généreuse du chef arverne. Vercingétorix languit six années dans les fers, et, l'an 46 avant Jésus-Christ, au milieu des joies du triomphe de César, la hache du bourreau trancha la tête du plus noble des défenseurs de la Gaule. Cette mort ne fut pas remarquée à Rome; mais nous, Français, fils de ces braves et malheureux Gaulois pour le salut desquels Vercingétorix se dévoua, nous lui devons une place d'honneur parmi les héros de la patrie. Le nom d'Arminius est populaire en Allemagne, celui de Vercingétorix devrait être encore plus familier à nos populations. Arminius défit quelques légions romaines, Vercingétorix donna sa vie pour le salut de ses concitoyens ! Aussi est-ce avec une joie véritable que nous faisons connaître ce curieux statère d'or qui a circulé parmi les assiégés d'Alise ; c'est avec une curiosité mêlée de respect que nous examinons ce petit morceau de métal qui a traversé tant de siècles pour nous faire connaître les traits de ce héros national. Si c'est une illusion, nous l'avouons, elle nous est chère, et il nous serait pénible de ne voir sur cette monnaie que la reproduction banale de je ne sais quel dieu du paganisme. Pourquoi l'Auvergne n'élèverait-elle point un jour, sur l'emplacement de l'ancienne Gergovie, une statue colossale au noble vaincu d'Alise ?[ce voeu fut exhaucé par Napoléon III] Si jamais ce vœu se réalise, il faudrait représenter Vercingétorix à cheval, revêtu de ses armes, et avec les traits nobles, réguliers et calmes que l'on admire sur ce statère découvert à Pionsat.

NB. Cet article est extrait du "Magasin pittoresque", paru en 1853. Certains des voeux de son auteur, dont la statue et la constitution de Vercingétorix en héros national, ont été exhaucés. La monnaie présentée ci-dessus est probablement la monnaie gauloise la plus célèbre.