Les origines de la monnaie, compte-rendu du livre classique d'Ernest Babelon

Ernest Babelon. Les origines de la monnaie, considérées au point de vue économique et historique. Paris, Firmin-Didot, 1897.

Couverture du livre "Les origines de la monnaie"

 Couverture du livre "Les origines de la monnaie", d'Ernest Babelon

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Compte-rendu critique du livre "Les origines de la monnaie" paru dans la Revue historique en janvier 1900, pages 176-178

Dans ce petit livre fort instructif, plein de faits et d’observations intéressantes, M. Babelon étudie successivement le troc et les premiers étalons de valeur (chapitre I), les lingots et ustensiles métalliques employés comme monnaie chez les divers peuples anciens (chapitre II), les premiers essais monétaires et la substitution des monnaies d’Etat aux monnaies privées (chapitre V), les variations du rapport de l’or à l’argent (chapitre VI-VII), le rôle de la monnaie auxiliaire ou de bronze dans l’antiquité (chapitre VIII). 

En eux mêmes, plusieurs de ces chapitres sont une précieuse contribution à l’étude très controversée des origines de la monnaie; citons, par exemple, les pages de M. B. sur la monnaie privée chez les Grecs, ou sur les premières pièces frappées soit à Egine, soit en Lydie. Mais la nouveauté de l’ouvrage est surtout dans l’objet que s’est proposé l’auteur, et dans la méthode qu’il a adoptée. 

M. Babelon a cru remarquer que ses confrères les numismates s’en tiennent généralement aux questions d’attribution, à l’étude des types ou des problèmes historiques, et que les économistes, malgré toutes leurs belles théories sur le rôle social de la monnaie, ne fréquentent guère les cabinets des médailles. Il a pensé faire oeuvre utile en essayant d’intéresser les économistes à la numismatique, et les numismates à l’économie politique. Comme rien ne vaut un bon exemple, il a entrepris d’étudier, au point de vue économique, les origines de la monnaie. 

D’après M. Babelon, le régime monétaire de l’antiquité classique et des peuples modernes a sa raison d’être dans la nature même des choses; il apparaît sous des formes rudimentaires chez tous les peuples anciens, du jour où s’établit un système régulier d’échanges; et il s’est perfectionné de plus en plus pour répondre aux nécessités du commerce. Les principales étapes du développement sont marquées par l’emploi du bétail monnaie, puis des étalons métalliques non monnayés, puis de véritables monnaies dues à l’initiative privée, enfin des monnaies d’argent ou d’or garanties par l’Etat, auxquelles s’ajoutèrent des monnaies d’appoint en bronze ou autr métal inférieur, et même, en certains cas, dès l’antiquité, une monnaie fiduciaire et représentative. 

Des leçons du passé, l’auteur dégage les principes d’une bonne organisation monétaire : inconvénients de toute monnaie privée, nécessité d’une intervention et d’une garantie de l’Etat, utilité des mesurs législatives qui mettent la monnaie à l’abri des fluctuations du marché de l’or de l’argent, avantages et dangers du monométallisme et du bimétallisme suivant les régions et les temps, nécessité d’adapter le système monétaire aux conditions sociales d’un pays à une époque donnée, règles à observer dans l’émission de la monnaie de bronze et de la monnaie fiduciaire. 

Ainsi comprise, cette étude sur les origines ramène sans cesse le lecteur à des questions très actuelles, qui préoccupent à juste titre les économistes et les hommes d’Etat. Cela tient surtout à la méthode de l’auteur, qui s’est efforcé d’éclairer sans cesse le passé à la lumière du présent. Cette méthode est souvent dangereuse en histoire; car elle entraîne aisément, sur des apparences trompeuses, à assimiler des choses assez différentes. Mais elle peut être ici très féconde, parce que les mêmes nécessités économiques s’imposent à toute société un peu développée. La comparaison avec ce qui se passe sous nos yeux aide souvent à comprendre les origines de l’évolution des systèmes monétaires dans la monnaie antique. Par exemple M. Babelon relève dans le commerce actuel la persistance du troc, au sens rigoureux du mot, c’est-à-dire que des marchandises, en certains cas déterminés, jouent officiellement le rôle de monnaie; il signale chez des peuples modernes jusqu’à nos jours, l’emploi d’étalons métalliques non monnayés, ou de monnaies privées; il allègue les récentes découvertes de mines d’or ou d’argent, et les effets constatés de ces découvertes, pour expliquer l’instabilité naturelle du rapport des deux métaux précieux dans l’antiquité, etc. Les conditions économiques de nos sociétés contemporaines l’aident à arracher leur secret aux médailliers. 

En résumé, l’auteur se sert du présent pour éclairer le passé, et du passé pour avertir le présent. Il y a là, en apparence, une pétition de principe. Mais ce n’est qu’une apparence : car les comparaisons avec les faits modernes servent seulement à fixer la véritable signification de faits antiques bien constatés; et c’est dans l’évolution des systèmes monétaires, considérés dans leur ensemble, que M. Babelon tire des conseils pratiques.

D’après la préface, “ce livre s’adresse, à la fois, à ceux qui étudient le présent et à ceux qui se confinent dans le passé et y cherchent des enseignements pratiques, aux économistes et aux numismates; par le fait, il a besoin de l’indulgence des uns et des autres, car c’est surtout lorsqu’on voudrait plaire à tout le monde qu’on risque de ne contenter personne ” (Préface). Je ne sais ce qu’en pensent les économistes. mais l’avis des numismates et autres antiquaires n’est pas douteux. En éclairant les origines et les vrais caractères de la monnaie, le livre de M. B. les invite à explorer un domaine nouveau; leurs études,orientées surtout vers les faits purement historiques, y trouveront une base solide sur le terrain des faits économiques. 

Paul Monceaux

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