Compte-rendu du livre d'Edgar Faure, "La banqueroute de Law, 17 juillet 1720", Paris, Gallimard, collection "Trente journées qui ont fait la France", 1977, 742 pages 

Compte rendu tiré des "Annales", Année 1979  pp. 186-188

Courverture du livre "La banqueroute de Law"

Courverture du livre La Banqueroute de Law


Dans la collection "Trente journées ont fait la France", Edgar Faure vient de publier une stimulante histoire du "Système". Certes l'émeute de la rue Vivienne ne mérite pas d'être inscrite parmi grands événements de l'histoire mais c'est la date qu'on peut assigner à l'échec de la nouvelle monnaie. A partir de ce jour, la banque mettant fin à la convertibilité de ses billets, commencèrent le déclin et l'agonie d'une entreprise à laquelle la démission du Contrôle général, le 9 décembre, puis la fuite, mirent fin quelques mois plus tard.

Notre connaissance de l'expérience de Law en dépit de plusieurs centaines de mémoires et de monographies, en dépit des oeuvres majeures de Forbonnais (1758) de Levasseur (1854) et Lüthy (1959), demeure imparfaite et confuse. Edgar Faure nous apporte non seulement une heureuse synthèse mais encore toute une série d'aperçus nouveaux, d'hypothèses pertinentes et de résultats inédits.
Bien sûr l'expérience monétaire du vingtième siècle et ses propres compétences financières lui ont permis mieux comprendre les aspects des opérations de celui qu'il appelle, non sans admiration, "le fondateur de l'économie monétaire, le ministre le plus original de histoire française". Mais l'ancien argentier, puis président du Conseil de la République a su également tirer parti de sources jusque-là négligées : la correspondance du duc de Noailles, les mémoires inédits du duc d'Antin, les papiers de Thélusson, les manuscrits de l'économiste Dutôt les correspondances conservées Public Record Office ou dans la série G.7 des Archives nationales.

La première partie du livre, consacrée à l'homme et à sa doctrine, nous propose un portrait haut en couleurs de ce fils d'un orfèvre-banquier d'Edimbourg, de ce dandy avantageux, joueur acharné et duelliste redoutable. Mais le jeune aventurier était aussi un économiste de génie et Faure analyse avec minutie ses premières oevres : "Money and trade considered with a proposal for supplying the nation with money" (1705), "Mémoire pour prouver qu'une nouvelle espèce de monnaie peut être meilleure que l'or et l'argent" (1707), "Mémoire pour l'acquittement des dettes publiques" (1715). Déjà s'esquisse un des thèmes essentiels du livre de John Law, l'homme-janus aux deux visages. C'est le risque-tout, le joueur saisi par le vertige, le duelliste fasciné par la mort qui ruinera les combinaisons astucieuses et prometteuses du banquier promu contrôleur général.

Dès le début de la collaboration établie entre lui-même et le Régent, John Law se préoccupe de l'amortissement de la dette publique. Le capital primitif de la banque pourtant destinée à l'origine aux seules opérations de change et escompte est en 1716 souscrit en partie en billets d'Etat; il en est de même du capital de la Compagnie d'Occident.
Après la constitution de la Banque royale le décembre 1718, le problème de la dette publique passe définitivement au premier plan des préoccupations de Law et toute une série de mesures destinées généraliser la circulation des billets de la Banque préparent pendant le premier semestre les décisions essentielles d'août et septembre 1719. Au terme de cette période préparatoire Edgar Faure estime que le "présystème" s'achève sur un succès financier remarquable dont témoignent l'excédent de commerce extérieur, le bon état de la monnaie et des changes, le gonflement de la production et des échanges intérieurs. Au coeur du "Système", au moment où se scelle son destin, est-à-dire dans été 1719, Edgar Faure retrouve la contradiction dont il nous avait dit elle marquait le caractère de John Law. A l'actif de l'administrateur compétent, de économiste en avance sur son temps, il y a l'arrêt du 27 août 1719 qui organise le remboursement total de la dette. La Compagnie est autorisée à emprunter 1 600 000 livres, en échange desquelles elle remettra soit des "actions rentières" au porteur obligations) soit des contrats de constitution de rentes à 3%. Il y encore pour justifier cette apologie, la stabilité de la livre tournois en dépit de la hausse des actions et des émissions de billets et surtout les promesses d'une économie libérée de ses charges hypothécaires, la baisse du taux de intérêt annonce une grande réforme fiscale, l'abandon de la détestable pratique des rentes constituées et des offices vénaux. Ce vaste programme bien loin d'affaiblir les plans de l'écossais leur donnait une respiration, un souffle, des perspectives, "toute l'opération était jouable" dit Edgar Faure. Mais voilà ! au "plan sage" John Law ajouta un "plan fou"; aux dispositions heureuses et efficaces il apporta le 13 septembre, un ensemble de compléments sous forme de combinaisons spéculatives proches de l'extravagance. Par un étrange phénomène de dédoublement de la personnalité l'agioteur ruina les dispositions du financier. Déjà la banque multipliait les avances occultes au Trésor, prenait à sa charge le paiement de l'arriéré des pensions et surtout le 13 septembre, abandonnant la formule des obligations à 3%, décidait de rembourser les créanciers de l'Etat en émettant de nouvelles actions. Plus grave encore, la décision était prise de porter ces actions au montant nominal de 5000 livres, et de ne pas les réserver aux anciens créanciers, enfin de leur garantir un dividende minimum de 4% ! Ainsi, par l'énorme plus-value accordée aux porteurs actions anciennes invités à participer à l'échange, on déclenchait une fantastique spéculation, on organisait l'agiotage, on imposait la Compagnie des charges exorbitantes au moment même ou Law, pour se concilier le concours des gens influents, multipliait prébendes faveurs et pensions.

Les résultats de ce coup de poker ne tardent pas à se manifester. Dès janvier, les changes français baissent à la bourse d'Amsterdam. Une première fois en mars tout l'édifice manque de écrouler à la suite d'une panique sans doute provoquée à l'étranger par les ennemis français et anglais du contrôleur général. L'incessante activité de celui-ci son ingéniosité retardent pendant quelques mois échéance mais l'abandon le 17 juillet de la convertibilité marque déjà l'échec de son plan initial. Edgar Faure admire beaucoup les tentatives de sauvetage imaginées par Law de juillet à décembre : déflation, multiplication des comptes courants et même démonétisation des billets. On éprouve quelque mal partager son appréciation et le suivre au long de ces péripéties cahotantes et dans les détours d'une rédaction plus touffue.

Comment cependant ne pas signaler l'intérêt exceptionnel du bilan dressé par l'auteur des conséquences sociales du "Système". Gagnants ou perdants ? Telle est bien la question essentielle. Si des milliers de rentiers actionnaires malchanceux ou mal informés ont perdu dans la tourmente une partie de leur patrimoine, d'autres et pas seulement les agioteurs les plus avisés ont tiré profit de la crise. L'examen des minutes notariales révèle que d'innombrables débiteurs ont pu se libérer à bon compte en monnaie de papier ou ont imposé à leurs créanciers la réduction de l'intérêt des dettes.
Ainsi Edgar Faure nous rappelle utilement que le résultat de la crise financière n'est pas totalement négatif, que les propriétaires fonciers privilégiés ou paysans ont bénéficié de cet allégement inespéré des charges hypothécaires, que les communautés de métier, les communautés rurales ont vu se réduire le poids de leurs obligations monétaires et que économie française dans son ensemble a profité de cette disparition partielle des prélèvements parasitaires. Dans le prolongement des hypothèses défendues par auteur, il faudra aussi que des enquêtes minutieuses dans les fonds notariaux, les archives du contrôle des actes et du centième denier nous informent sur l'identité des personnes intéressées par les nombreuses et importantes transactions immobilières, enregistrées dans les minutiers à l'époque du "Système" et de sa liquidation. Ajoutons que la bibliographie critique qui figure en fin de volume et qui est due à P. Harsin, un des meilleurs connaisseurs de histoire des finances et des doctrines économiques, contribue aussi au plaisir, à l'intérêt de la lecture et de la découverte.

Pierre DEYON

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